Les yeux des astronautes s’affaiblissent durant les longs séjours dans l’espace

24 janvier 2025

Les séjours de longue durée dans la Station spatiale internationale altèrent la biomécanique oculaire des astronautes, selon une étude dirigée par Santiago Costantino et Mark Lesk, de l’UdeM.

La microgravité à laquelle les astronautes sont soumis dans l’espace, lorsqu’ils séjournent de 6 à 12 mois dans la Station spatiale internationale (SSI), rend leurs yeux plus souples et plus faibles.

C’est ce que révèlent les résultats d’une étude dirigée par le professeur Santiago Costantino, du Département d’ophtalmologie de l’Université de Montréal, qui sont parus dans le Journal of Engineering in Medicine and Biology.

Traquer les signes d’un syndrome particulier

Santiago Costantino

Le professeur Costantino et ses collègues de l’unité de recherche en biophotonique – dont il est le directeur à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont – avaient pour mandat de mettre au jour les changements biomécaniques responsables du syndrome neuro-oculaire associé aux vols spatiaux, qui touche au moins 70 % des membres d’équipage de la SSI.

Ils ont donc analysé les données obtenues par l’équipe canadienne de la NASA, basées sur des mesures effectuées auprès de 13 astronautes ayant séjourné de 157 à 186 jours dans la SSI. Les participants, dont 31 % de femmes, avaient une moyenne d’âge de 48 ans et venaient des agences spatiales américaine, européenne, japonaise et canadienne. Huit d’entre eux en étaient à leur première mission.

Selon les données recueillies avant, pendant et après le séjour des astronautes en orbite, les chercheurs ont mesuré trois paramètres oculaires avant et après les vols spatiaux: la rigidité oculaire, la pression intraoculaire et l’amplitude du pouls oculaire.

Pour ce faire, ils ont utilisé la tomographie par cohérence optique avec un module vidéo personnalisé ainsi qu’un tonomètre – un appareil qui permet de mesurer la pression intraoculaire.

Des yeux moins rigides et moins alimentés en sang

«Les résultats montrent des changements importants dans la biomécanique des yeux des astronautes soumis à la microgravité: la rigidité oculaire diminue de 33 %, la pression intraoculaire baisse de 11 % et l’amplitude du pouls oculaire est réduite de 25 %», écrivent les signataires de l’étude.

Les symptômes couramment observés chez les astronautes comprennent une diminution de la taille de l’œil, une modification du champ focal et, dans certains cas, un œdème du nerf optique et l’apparition de plis dans la rétine. Les chercheurs ont également noté que cinq astronautes présentaient une épaisseur choroïdienne supérieure à 400 micromètres, une observation qui n’est corrélée ni à l’âge, ni au sexe, ni à l’expérience spatiale antérieure.

«L’apesanteur modifie la distribution du sang dans le corps, provoquant une remontée du sang vers la tête et un ralentissement de la circulation veineuse dans l’œil, et ce changement entraîne probablement une enflure de la choroïde, la couche vasculaire qui nourrit la rétine», souligne Santiago Costantino.

Selon les membres de son équipe et lui, l’expansion de la choroïde pendant l’apesanteur «pourrait étirer le collagène scléral, modifiant durablement les propriétés mécaniques de l’œil et les pulsations sanguines en microgravité pourraient également créer un effet “marteau d’eau” entraînant un remodelage des tissus oculaires».

Les missions de longue durée à surveiller

Pour les séjours de six mois à un an, ces modifications ne sont généralement pas inquiétantes, selon les auteurs de l’étude. De fait, 80 % des astronautes avaient présenté au moins un des symptômes recensés, mais leurs yeux ont retrouvé leur état normal après leur retour sur Terre. Le port de lunettes ajustées suffit à corriger les symptômes à bord de la SSI dans la plupart des cas.

La communauté de recherche et les agences spatiales internationales sont toutefois circonspectes en ce qui concerne les conséquences de futures missions de longue durée, notamment vers Mars, puisque les effets d’une exposition prolongée à la microgravité sur la santé oculaire restent inconnus et qu’aucune mesure préventive ou palliative n’existe actuellement. L’équipe attend d’ailleurs de nouvelles données provenant de la NASA pour évaluer d’autres propositions de mesures pour mieux comprendre ces symptômes.

«Les changements observés dans les propriétés mécaniques de l’œil pourraient servir de biomarqueurs pour prédire le développement du syndrome et pourraient éventuellement aider à désigner les astronautes à risque avant qu’ils souffrent de problèmes oculaires sérieux au cours de missions prolongées», conclut Santiago Costantino.

À propos de cette étude

L’article «Ocular Biomechanical Responses to Long-Duration Spaceflight», par Santiago Costantino Marissé Masis Solano, Remy Dumas et Mark Lesk, a été publié dans le Journal of Engineering in Medicine and Biology.